Ascenseurs : les abus des professionnels

Ascenseurs : les abus des professionnels

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Parions que lors de votre prochaine assemblée de copropriété, la question des travaux d’ascenseur sera à l’ordre du jour. Les copropriétaires disposant d’un ascenseur ont, en effet, jusqu’à juillet 2013 pour faire réaliser les travaux de la deuxième tranche de mise en sécurité de ces appareils, prévus par la loi Robien.

La première tranche a été effectuée avant 2010 dans une majorité des immeubles et une troisième salve de rénovation suivra, dont l’échéance est fixée à 2021. Au total, 17 mesures allant de l’installation d’un détecteur de présence à celle d’un limiteur de vitesse en montée, en passant par la mise en place d’une téléalarme… Tous les ascenseurs n’étant pas concernés par l’ensemble de ces mesures, difficile de déterminer un prix moyen des travaux par cabine. Certains observateurs parlent de 20 000 euros, mais notre enquête nous a révélé des devisallant de quelques milliers d’euros à plusieurs dizaines de milliers.
Quant à la manne financière totale que ces innombrables chantiers représentent pour les ascensoristes, là aussi les chiffres font le grand écart, allant d’un peu plus de 4 milliards d’euros selon les professionnels à 7,3 milliards selon les associations de copropriétaires. « Il ne faut pas confondre les travaux de mise en sécurité, qui devraient coûter un peu plus de 5 milliards d’euros au final, et des travaux de modernisation, pouvant porter la facture globale jusqu’à 8 milliards d’euros », précise Jean-Luc Detavernier, délégué général de la Fédération des ascenseurs. Et voilà bien le premier reproche adressé aux ascensoristes : jouer d’une telle confusion pour faire grimper la facture.

Des factures gonflées par des travaux inutiles
Ou comment les entreprises profitent des travaux obligatoires pour facturer des pièces et des prestations n’entrant pas dans le cadre de la loi, mais visant simplement à moderniser la cabine. Ces travaux de confort finissent parfois par coûter presque aussi cher que les seules interventions rendues obligatoires par les nouvelles normes légales.

 

Exemple avec ce devis remis à une copropriété de Champigny-sur-Marne : 13 107 euros, dont 6 360 euros concernent le remplacement de certains câbles électriques, soit des pièces non concernées par la loi ! Dans ce cas précis, les travaux complémentaires étaient conseillés par des experts. Le jeu en valait la chandelle. Quitte à arrêter l’appareil durant quelques semaines, autant faire d’une pierre deux coups, se justifient les professionnels. « On peut même parfois se demander s’il vaut mieux continuer à faire des travaux sur du matériel vieillissant, ou en profiter pour changer entièrement l’appareil », ajoute Pascal Lancelot, directeur Services de Koné France.
Dont acte. Mais l’intention est loin d’être toujours aussi légitime. « Certains commerciaux, poussés par leur hiérarchie à faire du chiffre, n’hésitent pas à vendre des pièces spécifiques à un ascenseur à contrepoids alors que l’ascenseur ne fonctionne même pas selon un système de contrepoids ! », confie un délégué syndical CGT chez un grand ascensoriste. Coût de la pièce : entre 650 et 1 500 euros ! Une autre facturation abusive régulièrement constatée est dénoncée par Emile Traha, ancien ascensoriste désormais consultant auprès de l’Association des responsables de copropriété : « Pour répondre à l’obligation d’obtenir une plus grande précision d’arrêt à l’étage, les ascensoristes ont tendance à proposer le changement complet du motoréducteur, pour un prix de 15 000 euros. Or cette pièce permettant de réduire la vitesse de l’ascenseur n’a pas systématiquement besoin d’être remplacée. « 


Face à un amoncellement d’informations techniques, le copropriétaire lambda est une proie facile, bien en peine de faire le tri entre l’utile et le superflu. Sauf peut-être à faire appel à un bureau d’études. Admettons qu’un tel bureau vous ait permis de délimiter le périmètre des travaux nécessaires, la facture ne s’en révélera pas forcément moins excessive ! Car sur les seules tâches obligatoires, les tarifs s’envolent d’un ascensoriste à l’autre.

45 000 euros
C’est le haut de la fourchette des prix de 4 devis pour les travaux d’ascenseurs d’une même copropriété. Le devis le plus bas se limite à 7 000 euros. Soit six fois moins.

Des prix variant du simple au double pour le même travail
La difficulté est aussi de connaître le « bon prix » pour telle pièce ou telle prestation. « C’est quasiment impossible, regrette Hervé Lasseigne, président de la Fiebca, fédération rassemblant les experts et les bureaux de contrôle des ascenseurs. Car pour la plupart des 17 obligations de la loi Robien, la solution à mettre en œuvre dépend en grande partie du type d’appareil. «  Pour seul repère, vous devez vous contenter de fourchettes de prix très larges : entre 1 200 et 2 800 euros HT, par exemple, pour un dispositif empêchant ou limitant les actes susceptibles de porter atteinte au verrouillage de la porte palière, selon mon-ascenseur.eu. Ou encore entre 700 et 1 250 euros pour un système de téléalarme. Et encore, le plafond de ces fourchettes est régulièrement franchi. Ainsi, la téléalarme est facturée 1 500 euros dans l’un des devis de l’ascensoriste Koné. Encore ce devis de Koné a-t-il l’avantage d’être suffisamment détaillé pour permettre d’y voir clair. Ce n’est pas le cas chez Drieux-Combaluzier, cet ascensoriste ne mentionnant qu’un prix global !

 

Le coût annuel moyen des travaux d’ascenseur a baissé, se défendent les professionnels. Entre 2006 et 2010, il est passé de 24 000 à 17 000 euros, selon la Fédération des ascenseurs. Mais ce chiffre mixe tout type d’intervention : rénovations obligatoires ou non, ainsi que la maintenance. Il est donc logique de le voir fluctuer selon le calendrier des mises aux normes légales.

Pour la profession, la facture moyenne des copropriétés serait en baisse pour deux raisons : une standardisation des solutions techniques et une concurrence plus vive entre les ascensoristes.

Message officiel : si les ascensoristes se contentaient de faire des travaux sur leur propre parc durant les années de forte activité, depuis deux ans, ils chassent davantage sur les terres concurrentes en répondant aux appels d’offres.

Ce n’est pourtant pas l’avis de certains observateurs tels des syndics de copropriété, chargés de faire établir des devis. « Nous avons souvent beaucoup de mal à obtenir des devis auprès des ascensoristes qui ne sont pas en charge de la maintenance des appareils de la copropriétéOn sent bien qu’il n’y a pas de réelle volonté de se battre pour obtenir le marché chez un concurrent », constate Eric Barbarit, chez Nexity.

Observation partagée par une élue parisienne en charge de la commission d’appels d’offres : « La méthode pour qu’un seul des ascensoristes obtienne le marché est imparable : les autres présentent un devis 10 fois plus élevé sur certaines pièces ou prestations », constate Camille Montacie. De là à parler d’entente illicite…

50 % des interventions font l’objet de litiges
Que ces travaux coûtent cher est une chose. Mais leur qualité laisse également trop souvent à désirer… Lors des contrôles techniques réalisés au cours des mois suivant leur réalisation, les travaux donnent lieu à 50 % de réserves, selon la Fiebca. Il peut s’agir de problèmes mineurs tels qu’un défaut d’éclairage. Plus embêtant : un matériel payé mais pas ou mal installé ! Exemple avec ce système de téléalarme placé mais pas branché. Un manque de professionnalisme des techniciens chargés des travaux ? « Quand on intervient sur des parties non visibles de l’immeuble, on est parfois un peu moins consciencieux », répond pudiquement Christophe Bresson, secrétaire général de l’association de consommateurs CLCV de l’Isère. La maintenance, elle aussi, laisse à désirer.

A leur décharge, les techniciens ne travaillent pas toujours dans les conditions idéales. Et ces « erreurs » sont souvent la conséquence d’un manquede temps et de formation. En effet, les mises aux normes nécessitant un surplus de travail et surtout l’apprentissage de techniques nouvelles, elles auraient logiquement dû entraîner l’embauche et la formation de nouveaux techniciens, soit 1 500 personnes par an pendant dix ans, selon la Mission d’information et d’évaluation de la Mairie de Paris. Or on assiste plutôt à une succession de plans sociaux plus ou moins déguisés. Schindler a supprimé 157 postes depuis 2011 ; Otis, 140 postes fin 2009. Chez Koné, les syndicats constatent le non-remplacement d’environ 600 personnes…
Qu’en sera-t-il lorsque les copropriétés vont se réveiller et auront toutes besoin de faire effectuer ces travaux en même temps, soit avant la fin de la deuxième tranche, prévue pour mi-2013 ? Le scénario observé il y a quelques années risque de se répéter, avec des embouteillages dans les plannings de travaux des ascensoristes. Surtout, les sociétés n’ayant pas anticipé leurs besoins de main-d’œuvre, elles devront une nouvelle fois avoir recours aux techniciens en poste ou à des sous-traitants. Et pour le client, au final, la même punition : une facture abusive. Car face à des copropriétés pressées, les ascensoristes n’auront aucun effort tarifaire à consentir pour décrocher les contrats. Alors, anticipez !