Copropriété : quand les charges prennent l’ascenseur

Copropriété : quand les charges prennent l’ascenseur

 

Ravalement, diagnostics, prestations spécifiques, ascenseurs… Les charges flambent et les propriétaires n’en finissent pas de payer.

Hugues de N., la quarantaine, deux garçons de 14 et 10 ans, n’a pas fini de grincer des dents. Le ravalement et la mise aux normes des ascenseurs de son immeuble parisien ont grevé son budget logement. Et de nouvelles dépenses de copropriété s’annoncent. « Je ne vais quand même pas me plaindre ; je suis assis sur un tas d’or. » Son tas d’or : un appartement de 100 mètres carrés dans le XVIe arrondissement, boulevard Murat. Un quartier chic certes, mais bien éloigné des prestigieux immeubles haussmanniens de Passy ou de la Muette. Son appartement est situé au premier étage d’un immeuble classique, ce qui est pourtant censé réduire les charges d’ascenseurs. Hugues de N. épluche ses relevés de charges… Il y a cinq ans, le ravalement côté rue lui a coûté 15 000 euros à régler en six mois ! Cette année, le ravalement côté cour et une partie des travaux des deux ascenseurs (dont l’un de service) ont fait passer sa quote-part de charges exceptionnelles à 19 500 euros. Et encore, le coût des travaux des ascenseurs a été étalé sur plusieurs années…

Rappelons que la loi de 2003 impose de soumettre les ascenseurs à un contrôle technique qui porte sur 78 points précis ! Le coût de cette simple prestation varie de 150 à 500 euros. Viennent ensuite la réalisation des travaux, généralement en plusieurs tranches, et le paiement de la facture. En moyenne, la rénovation d’un ascenseur coûte 20 000 euros et peut aller jusqu’à 50 000 pour des appareils plus anciens, comme les cabines de bois des années 1950 que l’on trouvait fréquemment dans les immeubles haussmanniens. Soit un coût global de près de 8 milliards d’euros pour la rénovation du parc français supportés par les propriétaires.

Dans l’immeuble d’Hugues de N., l’ascensoriste a facturé environ 100 000 euros en six ans pour la rénovation et la maintenance des deux machines. Une somme à partager entre une vingtaine de copropriétaires, en majorité des personnes âgées. Généralement libérées des charges de remboursement d’emprunt, ces personnes sont peu enclines à se plaindre et continuent de voter année après année des budgets de rénovation en hausse. Dans la tranche des travaux à réaliser côté cour, elles ont également voté la réfection de terrasses intérieures. « En quarante ans, ces terrasses n’ont jamais fui. Mais, d’après un bureau d’études, elles ne sont plus conformes à la réglementation. Les copropriétaires ont voté des travaux qui consistent à enlever 15 centimètres de béton pour alléger la terrasse puis remettre une couverture en goudron plus légère. Coût : 18 000 euros », poursuit Hugues de N.

En cinq ans, il a lâché près de 35 000 euros de charges dites “exceptionnelles”, auxquelles s’ajoutent les charges récurrentes, de l’ordre de 7 500 euros par an. En hausse de 5 % par an depuis cinq ans, elles comprennent le salaire de la gardienne, les charges ménagères, le chauffage, l’eau chaude… « Bien sûr, on peut me dire que les charges ont augmenté moins vite que les prix de l’immobilier. En dix ans, la valeur de mon appartement a doublé. Je serais incapable de le racheter aujourd’hui malgré les évolutions de carrière que j’ai eues », poursuit ce cadre supérieur d’une société du Cac 40. « Comme l’ensemble des propriétaires, j’ai tout intérêt à ce que l’immeuble soit bien géré pour que, le jour où je décide de vendre mon bien, je touche réellement mon tas d’or. » Pour l’heure, il ne prévoit ni de vendre ni de louer son appartement. S’il le désirait, qui voudrait d’un logement aux charges si élevées ? Pour couvrir ce que lui coûte son appartement en charges cette année, hors impôts et remboursement d’emprunt, il devrait le louer au minimum 2 300 euros par mois.

Les frais de chauffage ont bondi de 7 % en 2010

Au total, les charges de copropriété représentent 30 milliards d’euros par an, selon la Fédération des syndicats coopératifs de copropriété. « En dix ans, les charges d’immeuble ont augmenté de plus de 50 % alors que l’inflation a été de l’ordre de 2 % par an ; on ne peut se satisfaire d’une telle situation car tous les postes augmentent », s’indigne Claude Pouey, responsable de l’observatoire national des charges à l’Arc (Association des responsables de copropriété). Cet expert vient de terminer ses calculs sur les données de 2010. Premier constat, les frais de chauffage (à 14 euros le mètre carré) ont augmenté de plus de 7 % l’an dernier. Une progression qui s’ajoute à une hausse de 12 % en 2008 et de 7 % en 2009 ! C’est le double effet de la hausse des prix de l’électricité et du fioul, conjuguée à l’effet volume, avec la progression de la consommation énergétique.

Deuxième poste en forte augmentation, les primes d’assurance d’immeuble. La hausse a atteint 8 % l’an dernier (et plus de 10 % dans certaines copropriétés), après une augmentation semblable en 2009 ! Pour se justifier, les assureurs évoquent une hausse des sinistralités tandis que les responsables de copropriété s’indignent. « En dix ans, les primes d’assurance multirisque immeuble ont augmenté de 40 % et une nouvelle hausse de 7 % est envisagée pour 2012 », déplore Michel Thiercelin, président de la Fédération des syndicats coopératifs de copropriété.

Viennent ensuite les frais de syndic, qui focalisent la grogne des propriétaires. En moyenne, les honoraires se montent à 268 euros par an et par lot à Paris et à 196 euros dans le reste de la France. En apparence, la progression des honoraires est raisonnable, de l’ordre de 2 % l’an dernier, identique à l’inflation. Mais attention, les prestations particulières, qui comprennent les frais liés aux assemblées générales, les interventions en cas de sinistre, la mise à jour du carnet d’entretien de la copropriété…, ont flambé de 20 % en un an. Dans ces prestations, se trouvent aussi les heures supplémentaires facturées lorsque les assemblées générales s’éternisent tard le soir… « Il y a actuellement un important débat avec les syndics, qui font preuve d’une grande imagination pour arrondir leurs honoraires. Exemple, les honoraires pour “gestion de câblage” à l’occasion de l’installation de la fibre optique dans les immeubles », poursuit Claude Pouey à l’Arc. L’expert a même relevé un forfait pour « vacation consécutive aux novations édictées par les dispositions réglementaires ou législatives »…

Pour freiner ces pratiques abusives, l’arrêté Novelli du 19 mars 2010 a défini les actes relevant de la gestion courante, imposant aux syndics de respecter une liste de 44 prestations de base. Mais rien n’a été décidé pour encadrer les prix des prestations particulières et, selon une enquête du journal le Particulier, publiée en avril, les services exceptionnels sont toujours plus nombreux et plus chers… Sans compter qu’à partir de janvier 2012, d’autres réglementations vont fournir de nouvelles tâches rémunératrices aux syndics, comme les lois du Grenelle 1 et 2 de l’environnement qui visent à réduire de 38 % la consommation énergétique du bâtiment d’ici à 2020. Dans les immeubles à chauffage collectif construits avant le 1er juin 2001, les copropriétés de moins de 50 lots devront réaliser un “diagnostic de performance énergétique”. Celles de plus de 50 lots devront même faire élaborer un “audit énergétique”, plus technique et plus onéreux, proposant un programme de réduction de la consommation en énergie… Le syndic devra ensuite proposer à l’ordre du jour de l’assemblée générale un “plan pluriannuel de travaux d’économies”. De quoi satisfaire les bureaux d’études. « Comme toujours nous allons voir fleurir des officines qui vont casser les prix mais évidemment fournir en contrepartie un travail médiocre et inutile », estime le président de l’Arc. Il estime que cette nouvelle réglementation risque de devenir rapidement un « enfer »pour les copropriétaires.

Avec la mise en place du Grenelle de l’environnement, les diagnostics obligatoires se sont aussi multipliés. Depuis le 1er janvier, chaque immeuble doit constituer un dossier de diagnostics techniques, qui mentionne sept examens, dont le plomb, l’amiante, les termites, et qui s’ajoute à l’obligation pour les vendeurs de logement d’établir les diagnostics pour l’amiante, les ter mites, le mesurage Carrez, le gaz et l’électricité.

Pour éviter le gaspillage d’énergie, les copropriétaires devront désormais se soumettre aux “travaux d’intérêt collectif” décidés à l’occasion de ravalement ou d’isolation de façade, par exemple le remplacement de fenêtre ou la pose de double vitrage en cas de surconsommation énergétique. Et ce n’est pas tout, chaque copropriétaire sera contraint d’installer sur ses radiateurs un “compteur de chaleur”. Cet appareil mesure la différence de température à l’entrée et à la sortie des radiateurs et évalue ainsi la consommation énergétique. L’objectif est de responsabiliser les copropriétaires qui chaufferaient leurs appartements en laissant les fenêtres ouvertes…

Les copropriétaires n’ont pas fini de payer… « Les dépenses de copropriété devraient vraisemblablement continuer à augmenter en 2012, sous l’effet de la hausse des dépenses de chauffage et des perspectives de retour à la TVA à 19,6 % contre 5,5 %, pour les travaux d’entretien », estime Michel Thiercelin.

En multipliant les nouvelles normes et réglementations, ce qui permet certes de soutenir l’économie du bâtiment, l’État prend le risque de décourager et d’asphyxier les propriétaires. Selon le ministère de la Justice, les tribunaux de première instance ont été saisis de 38 000 contentieux de la copropriété en 2009, contre 25 000 en 1990. À Paris, un tiers des copropriétés subissent des dysfonctionnements du fait des impayés. Selon l’Adil 75, la majorité des copropriétaires qui font face à ces impayés sont des personnes seules (55 %) et des retraités (35 % des personnes en difficulté). Si bien que de nombreux copropriétaires se trouvent au bord du gouffre. Selon la Fondation Abbé-Pierre, 150 000 propriétaires pourraient bientôt être contraints de vendre leur logement faute de pouvoir payer les charges de copropriété.  Marie de Greef-Madelin