Le bénéfice de la réduction du délai de préavis à un mois peut être revendiqué par le locataire dont le conjoint, cotitulaire légal du bail, âgé de plus de soixante ans, présente un état de santé justifiant un changement de domicile conjugal et que, d’autre part, ce bénéfice n’est pas subordonné à la nécessité soudaine de changement de domicile.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 28 janvier 2010), que Mme X…, propriétaire d’un appartement donné à bail à M. Y…, l’a assigné en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail, en paiement d’un arriéré locatif, en expulsion et en fixation d’une indemnité d’occupation ; que M. Y… et Mme Z…, son épouse, intervenue volontairement à l’instance, ont demandé la suspension du paiement des loyers, ainsi que la condamnation de la bailleresse à faire effectuer des travaux de mise en conformité du logement et à leur verser des dommages-intérêts ; que par jugement du 6 septembre 2007, le tribunal d’instance a condamné les époux Y… à payer une certaine somme au titre des loyers impayés à la date du 30 avril 2007, déclaré la demande d’expulsion irrecevable, et, avant dire droit sur la demande reconventionnelle des époux Y…, ordonné une expertise ; que M. Y… a donné congé le 30 avril 2007 et a quitté les lieux avec son épouse le 1er juin 2007 ; que, par jugement du 4 septembre 2008, le tribunal a condamné M. Y… au paiement des loyers des mois de mai, juin et juillet 2007 et l’a débouté de ses demandes ;
que la cour d’appel a déclaré irrecevable l’intervention volontaire de Mme Z… ;
Sur le premier moyen :
Vu l’article 15- I, alinéa 2, de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l’article 1751 du code civil ;
Attendu que le délai de préavis est réduit à un mois en faveur des locataires âgés de plus de soixante ans dont l’état de santé justifie un changement de domicile ;
Attendu que pour débouter M. Y… de sa demande de réduction à un mois du délai de préavis et le dire redevable d’une somme au titre des loyers des mois de mai, juin et juillet 2007, l’arrêt retient qu’aucun préavis abrégé ne peut être invoqué en l’espèce, le délai réduit à un mois étant stipulé en faveur du locataire âgé de plus de soixante ans dont l’état de santé justifie un changement de domicile et le locataire ne se référant lui-même qu’à la santé de son conjoint et non pas à des problèmes personnels de santé et, qu’en toute hypothèse, aucune nécessité soudaine de changement de domicile ne pouvait être alléguée en 2007, la pathologie respiratoire du conjoint remontant à 2001 ;
Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que le bénéfice de la réduction du délai de préavis peut être revendiqué par le locataire dont le conjoint, cotitulaire légal du bail, âgé de plus de soixante ans, présente un état de santé justifiant un changement de domicile conjugal et que, d’autre part, ce bénéfice n’est pas subordonné à la nécessité soudaine de changement de domicile, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l’article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour débouter M. Y… de sa demande en dommages-intérêts, l’arrêt retient que celui-ci représente cette demande sans moyens nouveaux ni davantage d’éléments probants qu’en première instance, qu’il ne saurait tirer grief du défaut de consignation de l’avance sur frais de l’expertise, ayant lui-même ôté tout intérêt à cette mesure en quittant les lieux un mois après l’audience des plaidoiries et que s’agissant d’une mesure d’information, expressément ordonnée avant dire droit sur l’imputabilité d’éventuels désordres restant à établir et rendue caduque par l’extinction des liens contractuels par le propre fait du locataire, le rejet de sa demande reconventionnelle d’indemnisation s’impose en cet état ;
Qu’en statuant ainsi, alors que M. Y… réclamait des dommages-intérêts non seulement pour avoir dû quitter des lieux loués insalubres dont il avait vainement demandé la remise en état, mais également pour y avoir vécu, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 janvier 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Condamne Mme X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile rejette la demande de Mme X… et la condamne à payer la somme de 2 500 euros à M. Y… ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils pour M. et Mme Y…
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir condamné M. Y… à payer à Mme X… les loyers de mai, juin et juillet 2007, soit un total de 924, 27 € ;
AUX MOTIFS PROPRES QU’au préalable, il convient de relever que le bail ne mentionnait comme locataire en titre que l’appelant et que la partie intervenue en cause d’appel n’avait qualité que d’occupant des lieux du chef de celui-ci ; qu’en tout état de cause le bail ayant pris fin avant même que ne soit rendu le jugement dont appel l’intervention est irrecevable comme dépourvue d’intérêt ; qu’au fond, après avoir constaté à bon droit que la condamnation du locataire au paiement d’une somme de 1. 302, 61 € au titre des loyers impayés au 30 avril 2007, prononcée par décision du 6 septembre 2007 avait acquis l’autorité de la chose jugée et s’imposait au locataire, le premier juge a sanctionné à juste titre le nonrespect du préavis de trois mois ; qu’en effet le locataire a donné congé le 30 avril et a quitté les lieux dès le 1er juin 2007 ; qu’aucun préavis abrégé ne peut être valablement invoqué en l’espèce, le délai réduit à un mois étant stipulé « en faveur du locataire » âgé de plus de soixante ans dont l’état de santé justifierait un changement de domicile ; que tel n’est pas le cas, le locataire ne se référant lui-même qu’à la santé de son conjoint et non pas à des problèmes de santé ; qu’en toute hypothèse, ces dispositions dérogatoires devant comme telles être strictement interprétées, force est de constater qu’aucune nécessité soudaine de changement de domicile ne pouvait être alléguée en 2007, la pathologie respiratoire du conjoint du locataire remontant, d’après les certificats médicaux produits, à … 2001 ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE M. Y… conteste devoir une quelconque somme au titre des loyers impayés ainsi que l’augmentation des loyers pratiquée par Mme X… ; mais qu’en date du 6 septembre 2007, le tribunal d’instance d’APT a statué sur ce point et a condamné M. Y… à verser à Mme X… la somme de 1. 302, 61 €, compte arrêté au 30 avril 2007 ; qu’en vertu du principe d’autorité de la chose jugée, il ne saurait être question de statuer une nouvelle fois sur ce point ; qu’en revanche, le locataire a donné son congé en début mai et a quitté les lieux le 1er juin 2007 alors qu’il devait, selon le contrat de bail, respecter un délai de trois mois ; qu’en conséquence, il est redevable des loyers de mai, juin et juillet 2007, soit au total de 924, 27 € ;
ALORS, de première part, QUE l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement ; qu’il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu’en retenant, pour condamner M. Y… à payer, au titre des loyers de mai, juin et juillet 2007, que l’autorité de chose jugée attachée au jugement du 6 septembre 2007 par le tribunal d’instance d’APT, qui avait définitivement condamné M. Y… à verser à Mme X… la somme de 1. 302, 61 €, compte arrêté au 30 avril 2007, faisait obstacle à ce qu’il soit statué à nouveau sur ce point pour la période postérieure à avril 2007 et que, par voie de conséquence, le locataire ayant donné son congé en début mai aurait dû respecter un délai de trois mois et devait dès lors payer les loyers de mai, juin et juillet 2007, la cour d’appel a méconnu l’article 1351 du code civil ;
ALORS, de deuxième part, QUE le manquement du bailleur à ses obligations d’entretien et de réparation de la chose louée peut autoriser le locataire à suspendre le paiement des loyers ; que dans ses conclusions d’appel (pp. 4 à 7), M. Y… faisait valoir que les loyers de mai, juin et juillet 2007 n’était pas dus en raison de les manquements graves du bailleur à ses obligations d’entretien et de réparation de l’immeuble donné bail ; qu’en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions de l’appelant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, de troisième part, QU’il résulte de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs que le délai de préavis applicable au congé est de trois mois lorsqu’il émane du locataire et de six mois lorsqu’il émane du bailleur et que ce délai est réduit en faveur des locataires âgés de plus de soixante ans dont l’état de santé justifie un changement de domicile ; qu’il résulte de l »article 1751 du code civil que le droit au bail d’habitation est réputé appartenir aux deux époux, même si le bail a été conclu avant le mariage ; qu’en conséquence, le délai de préavis abrégé peut être également invoqué par le locataire ou le conjoint du locataire de plus de soixante ans dont l’état de santé justifie un changement de domicile ; qu’en retenant, au contraire, pour condamner le locataire M. Y… au paiement des trois mois de loyers du préavis, que celui-ci ne se référait lui-même qu’à la santé de son conjoint et non pas à des problèmes personnels de santé, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ;
ALORS, de quatrième part, QUE le délai de préavis abrégé peut être justifié par l’état de santé se dégradant progressivement en raison de l’état des lieux donnés à bail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que la pathologie respiratoire de Mme Y… était établie depuis 2001 ; qu’en retenant, pour condamner M. Y… au paiement des trois mois de loyers du préavis, qu’aucune nécessité soudaine de changement de domicile ne pouvait être alléguée en 2007, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a ajouté à l’article 15 I deuxième alinéa de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 une condition que ce texte ne prévoyait pas.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir débouté M. Y… de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l’appelant représente sa demande de dommages et intérêts sans moyens nouveaux ni davantage d’éléments probants qu’en première instance ; qu’il ne saurait tirer grief du défaut de consignation de l’avance sur frais de l’expertise ordonnée par jugement du 6 septembre 2007, ayant lui-même ôté tout intérêt à cette mesure en quittant les lieux après l’audience des plaidoiries ; que, s’agissant d’une mesure d’information, expressément ordonnée avant dire droit sur l’imputabilité d’éventuels désordres restant à établir, et rendue caduque par l’extinction des liens contractuels par le propre fait du locataire, le rejet de la demande reconventionnelle d’indemnisation formée par celui-ci s’imposait en cet état ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU’il ne résulte pas des éléments du dossier que M. Y… a quitté les lieux en raison du mauvais état de l’appartement ; que s’il avait attendu, avant de quitter les lieux, que l’expert rende son rapport, peut être, le cas échéant, selon les conclusions de l’expertise, aurait-il pu prétendre à des dommages et intérêts ;
ALORS QUE pour engager la responsabilité de sa bailleresse, M. Y… invoquait de nombreux manquements graves à ses obligations d’entretien et de réparation de l’immeuble donné à bail d’habitation pour réparer les préjudices résultant, d’une part, de la contrainte d’occuper un logement totalement insalubre et, d’autre part, de l’aggravation de l’état de santé de son épouse ; qu’en se bornant à écarter ses demandes dès lors que M. Y… ne justifierait pas avoir quitté les lieux en raison du mauvais état de l’appartement et que son départ aurait rendu sans objet une expertise ordonnée avant dire droit sur ces demandes, la cour d’appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de motifs et ainsi violé l’article 455 du code de procédure civile.